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PETITE HISTOIRE DE LA BALALAIKA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

          Les skomorokhi (troubadours russes) qui se gaussaient des autorités et du clergé dans leurs couplets satiriques sont persécutés en 1648-49 par les oukases du Tsar Alexeï Ier Mikhaïlovitch, dit le Très-Doux, puis par les anathèmes du patriarche Joseph et surtout ceux de Nikon, dès 1652. Les instruments de musique sont confisqués et brûlés dans d’immenses autodafés. Amendes, bastonnades et exils s’abattent sur les musiciens. L’art des skomorokhi s’étiole ou se marginalise au fin fond des campagnes ou en lointaine et froide Sibérie ! Dépossédé de ses instruments de musique, le peuple russe, rusé, va en créer un, dérivé de la domra, aux origines mongolo-tatares. Celle-ci était fabriquée par d’habiles artisans, luthiers en devenir, pour les skomorokhi, musiciens professionnels ; la balalaïka, elle, sera construite et jouée d’abord en amateur par les moujiks. Le mot même procède des verbes russes balakat’, balagourit’, balabonit’, balamoutit’, boltat’, qui signifient bavarder, baliverner, babiller, plaisanter, cancaner. Instrument au nom pas sérieux, donc à ne pas prendre au sérieux par les autorités !

 

            La première mention écrite du mot balalaïka se trouve dans un mandat d’amener du 13 juin 1688, découvert en 1968, où les Streltsy gardant la Porte de Iaouza à Moscou, notifient que « deux moujiks, montés sur une télègue, chantaient en jouant de la balalaïka ». Autre mention, en l’an 1700, où un certain I. Pachkov battait à coup de balalaïka deux cochers ! Et, en 1714, de la main même de Pierre le Grand dénombrant et nommant dans son « Registre » 4 balalaïkistes qui jouaient dans un orchestre de 200 musiciens, lors d’une mascarade de noces.



 


          Les balalaïkas, piriformes, hémisphériques, puis triangulaires, car plus faciles à construire, seront décrites ou représentées par de nombreux voyageurs, écrivains et peintres russes ou étrangers. En 1721, F. Bergholz nous décrit l’instrument et indique l’engouement que lui portent toutes les classes de la société russe du XVIIIe siècle. J. Stäelin, lui, écrit que la balalaïka est jouée par la « populace », mais aussi par les nobles, tel ce « jeune homme d’une famille de notables qui jouait les mélodies des arias italiennes récentes et chantait en s’accompagnant avec élégance sur cet instrument, et il ajoute : « …il n’est pas facile de trouver en Russie une maison où sur cet… instrument un jeune ouvrier ne joue pas ses bagatelles aux servantes. Cet instrument se vend dans toutes les boutiques, mais ce qui fait qu’il est aussi répandu, c’est qu’on peut le fabriquer soi-même. »


 

[Pouchkine (« Eugène Onéguine »), Gontcharov, Lermontov, Maïkov (« Elisseï »), Tourgueniev, Dostoïevski, Ostrovski, Tolstoï (« Guerre et Paix »), Tchekhov, plus tard Boulgakov (« Coeur de chien »), Chychkine sont les écrivains russes qui décrivent la balalaïka, son timbre, son jeu, son engouement.]

 

          Gogol écrira dans les « Âmes mortes » : «… une courge de Moldavie, une de ces calebasses dont on fait en Russie les balalaïkas, légers instruments à cordes, joie et orgueil des casse-coeurs de vingt ans qui les pincent doucement avec forces oeillades et sifflets à l’intention des belles filles à la gorge blanche, empressées à les écouter ».

 

          En 1762, F. Volkov invite un ensemble de balalaïkas à l’occasion des cérémonies du Couronnement de Catherine II la Grande. À la Cour, dans les maisons seigneuriales des hauts dignitaires, il est fréquent d’assister à des concerts où violon, balalaïka, flûte, trompette, jouent ensemble. C’est surtout dès le début du XIXe siècle que l’instrument est doté d’une troisième corde (chanterelle) en cuivre, les deux premières, en boyau, à l’unisson jouant le rôle de bourdon pour renforcer l’intensité sonore (mi, mi, la). Les frettes en boyau, au nombre de quatre, cinq ou plus, amovibles et réglables, graduent la touche, permettant ainsi de jouer des danses ou des chansonnettes simples et rapides dans les modes majeurs ou mineurs diatoniques. Le nombre des cordes varie de 2, 3 à 4, jouées plus souvent à main nue qu’avec un plectre permettant, ainsi, une palette d’attaque et d’expression plus riche.

          Le répertoire évolue cependant, grâce à des virtuoses-balalaïkistes professionnels dont le premier historiquement est le serf émancipé E. I. Khandochkine. Celui-ci, avant d’acquérir une balalaïka du célèbre luthier I. Batov, faite d’une planche en sapin enlevée à un vieux cercueil (sic), jouait sur un potiron dont l’intérieur était tapissé de cristal pilé, ce qui lui donnait¸ au dire de M. Pyliaïev, un son pur et argentin. Le manche était sans frette, permettant ainsi à ce violoniste émérite d’interpréter le premier Concerto pour balalaïka, composé par lui, mais dont la partition n’a pas été retrouvée, des mazurkas, valses, polonaises et variations de son cru sur des thèmes russes. Son jeu mettait dans une « rage musicale » des mélomanes aussi avertis que les princes G. Potemkine, N. Cheremetiev et S. Narychkine.



 

Le violoniste I. Iablotchkine fut l’élève de Khandochkine. D’autres excellents musiciens eurent leurs heures de gloire, tels M. Khrounov, V. Radivilov, N. Lavrov, A. Paskine, P. La-ki, P. Baïer, B. Pavlovski, D. Ouchkanov, etc. La balalaïka accompagne l’aria du meunier dans l’opéra-comique (le premier opéra russe, 1779 !) « Le meunier-sorcier fourbe et marieur » de Mikhaïl Sokolovski, sur un livret d’Aleksandr Ablessimov et un arrangement d’Evstigneï Fomine et dans l’opéra « Les Cochers au relais de poste », de ce dernier.

 

          Dans la période « préandreïevienne », la balalaïka reste néanmoins, de par la facture bien primitive de sa lutherie, un instrument « anti-musical », au regard d’instruments importés, russifiés et très vite en vogue tels la guitare et l’accordéon. Ainsi, l’éclipse des instruments du peuple russe s’opère-t-elle au milieu du siècle Romantique qui voit croître l’intérêt porté à la musique classique venue d’Europe et à la naissance de l’École nationale de musique russe. École dont le chef de file, Mikhaïl Glinka, aura beau dire : « Par les liens légitimes du mariage, je voudrais unir le chant populaire russe et la bonne fugue d’Occident », il n’en restera pas moins que la balalaïka « méprisée par tous, ne s‘entend plus guère que dans la pénombre des écuries et sous les portes cochères », et, devient, vers la fin du XIXe siècle, selon B. Babkine, un « objet d’archéologie musicale ». Quant à V. Savinov, constatant l’éclipse de tous les instruments traditionnels russes, il s’écriait ainsi, déjà à regret : « Rappelons-nous le temps, lors des fêtes, où sous la tonnelle, quand le coeur s’abandonne, ce n’est pas l’accordéon étranger qui jouait une chanson gaie, mais bien la balalaïka chantante russe, celle que l’on a faite soi-même. Oh, combien nos vieilles gens aimaient à danser avec elle ! Que de chansons ont pu être composées pour elle, cette « petite trois cordes », que de tendresse suave s’est épanchée de son briatsanié mélancolique adressée à la bien-aimée ! »

 

                

 

          Un homme de génie, Vassili Vassilevitch Andreïev (1861-1918), habité par une passion quasi fanatique de restaurer et perfectionner la plupart des instruments russes, la famille complète des balalaïkas (du piccolo à la contrebasse), de jouer, composer et enseigner, mais aussi, créer, orchestrer et diriger l’Orchestre d’instruments traditionnels russes, sera appelé le « père de la balalaïka ». En Russie, en France, en de nombreux pays, l’oeuvre de trente ans d’Andreïev voit porter ses fruits.

 

À l’aube du IIIe millénaire, en apprenant à jouer, en construisant ou faisant construire, en jouant, composant, arrangeant, écrivant sur ou pour la balalaïka, en enseignant, enregistrant CD, DVD, films, vidéos, etc., en parlant autour de nous avec enthousiasme de cet instrument merveilleux, n’oublions jamais ce qu’Andreïev nous a apporté. Puissent nos concerts et ma Méthode de Balalaïka Classique, les instruments fabriqués par mon luthier parisien, Thomas Norwood, servir aussi sa cause et la faire progresser. Puisse la balalaïka être reconnue à sa juste valeur comme le furent en leur temps le violon, le piano, la guitare, la mandoline, ces instruments devenus si classiques, académiques et universels ! Puisse la musique, sous toutes ses formes et styles, être jouée avec qualité sur cet humble instrument. Il est par la beauté, la spécifité de sa facture, la richesse merveilleuse de son timbre, si russe, la prodigieuse multitude des procédés combinés de son jeu, un instrument captivant au devenir très prometteur. Il est d’un fort attrait par l’étendue et la variété de son répertoire, par les qualités évolutives de sa lutherie, le développement et l’épanouissement musical de l’interprète qu’il sait éveiller lors de son apprentissage et de son perfectionnement, tout autant que par les captivantes délices suscitées à son écoute !

 

« Je suis très content, dit le tsar Nicolas II à Andreïev, que grâce à votre talent, la balalaïka revienne au peuple et redevienne un instrument populaire. »

« Quel délice que ces balalaïkas ! Quel effet étonnant en orchestre ! C’est un instrument irremplaçable par son timbre », s’exclame Piotr Tchaïkovski à l’issu du concert du Cercle des Balalaïkistes.

« Je suis absolument surpris. Jamais je n’aurai pu attendre cela des balalaïkas. Les effets que vous pouvez en tirer sont étonnants. Il est déjà si difficile de créer des choses originales dans le domaine musical. Honneurs et compliments vous soient faits, Vassili Vassilevitch, vous avez apporté à la musique un nouvel élément. » Anton Rubinstein

Jules Massenet : « J’ai écouté avec un énorme intérêt le « Cercle des balalaïkistes russes » et j’ai été fasciné par leur talent et les effets musicaux qu’ils savent produire sur leurs instruments si pittoresques ! »

« L’orchestre russe est un événement éminent de notre époque. Seul un génie a pu créer à partir d’instruments aussi primitifs un tel ensemble musical parfait. » New-York Times

« Tu as réchauffé auprès de ton coeur généreux la balalaïka orpheline. Grâce à tes bons soins et ton amour, elle s’est muée en une beauté russe dont les charmes subjuguent le monde entier ! » Ainsi s’adressait Fiodor Chaliapine à son ami Vassili Andreïev, lors du jubilé de ses 30 ans d’activités musicales.

 

« J’ai toujours regardé l’avenir plutôt que le présent, vers le jour où la balalaïka serait un instrument universel, connu et aimé dans tous les pays. » Vassili Andreïev

 

 

                                                                                            Micha Makarenko, Balalaïkiste

 

 

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